Les liens entre l’Espagne et la France ont toujours été très étroits en matière de pêche au large.
La situation du Port de Bayonne, autrefois marquée par d’importants conflits entre les pêcheurs espagnols et les pêcheurs français, a beaucoup évolué en deux décennies.
Dans les années 90 profitant du déclin de la flotte française, les armateurs espagnols ont racheté des navires français en conservant le pavillon français.
Afin d’exploiter ces navires et de pouvoir pêcher dans les quotas français, ils ont ainsi créé des entreprises d’armements maritimes en France.
50 navires, gérés pour une large part par des centres ou des coopératives situées eux aussi en France sont à ce jour concernés.
Les propriétaires espagnols (armateurs) ont affecté sur ces navires battant pavillon français 600 marins de nationalité espagnole ou portugaise.
En 2013 lorsque l’inspection du travail de BAYONNE contrôle ce secteur d’activité, elle constate que près de 90 % des marins travaillant sur les navires de pêche ne relèvent pas du droit du travail français ni de la sécurité sociale maritime française (Établissement national des invalides de la marine – ENIM).
Les marins sont en effet affiliés à la sécurité sociale maritime espagnole (Institut social de la marina - ISM) et leur est appliqué le droit du travail espagnol.
En investiguant de manière précise les relations de travail et commerciales, l’inspection du travail relève deux modes d’organisation :
- Le premier et le plus répandu est la « mise à disposition » depuis des entreprises d’armement maritime de droit espagnol, de salariés qui vont réaliser leurs prestations de travail sous la subordination de l’armement maritime de droit français.
L’entreprise maritime espagnole facture la masse salariale à sa « filiale » française comme le ferait une entreprise d’intérim.
Toutefois une telle « mise à disposition » ne repose sur aucun mécanisme légal.
Pire, elle constitue en soi une infraction de travail dissimulé.
- Le second mode d’organisation est plus simple à appréhender. Les armements font appel à des autoentrepreneurs de droit portugais pour travailler sur des navires de pêche comme marins pêcheurs. Ces marins sont évidemment placés sous la subordination de l’armateur français.
Dans ce fonctionnement, il n’est jamais question de salaire minimum, de droits aux congés etc. Les pseudo autoentrepreneurs émettent des factures que paie la société de pêche à l’issue d’une campagne de pêche de 2 ou 3 mois. Là encore, il s’agit d’une infraction de travail dissimulé.
Ces deux modes d’organisation aboutissaient à ce que les mécanismes de protection du droit du travail français se trouvent écartés. Cette fraude s’est avérée particulièrement enracinée, elle était habituelle, structurelle et considérée comme normale car fondée juridiquement eu égard aux textes européens.
.L’inspection du travail était donc face à un constat de travail dissimulé quasi généralisé sur le Port de BAYONNE.
Un armement maritime recourant au système des faux autoentrepreneurs de droit portugais a été verbalisé dès 2013.
La pratique visant à recourir à de faux autoentrepreneurs a très vite cessé après cette verbalisation.
Il restait néanmoins la situation majoritaire de tous les marins « mis à disposition » par les armements espagnols.
Le choix de l’inspection du travail s’est orienté vers un accompagnement des armements pour qu’ils se mettent en conformité.
Accompagnement des entreprises
Une première réunion a eu lieu en 2014 entre l’administration des affaires maritimes, l’inspection du travail et les centres de gestion des armements français.
Les représentants des armateurs n’ont pas contesté la demande de mettre fin à ces pratiques de mise à disposition illégales mais ils se sont montrés particulièrement inquiets sur le changement de couverture sociale pour des marins de nationalité espagnole.
A l’issue de cette réunion, chacun devait expertiser différentes questions afin de se revoir rapidement.
La seconde réunion n’aura lieu qu’après que l’inspection du travail ait diligenté à nouveau plusieurs contrôles et menacé de relever les infractions pénales.
Lors de cette seconde réunion en septembre 2015, à laquelle sont présents les centres de gestion, l’ENIM, l’administration locale des affaires maritimes et l’inspection du travail, il est convenu que la pratique de la mise à disposition devra avoir cessé au 15 janvier 2016 et que ce délai doit être mis à profit pour affilier tous les marins à la sécurité sociale française et faire application du droit du travail français.
Cet engagement est pris par l’ensemble des centres de gestion.
Les autorités espagnoles et notamment l’ISM n’entendaient pas voir partir quelques 600 marins de son régime de sécurité sociale.
Les ministres du travail et de la mer français ont été saisis de ce désaccord, de même que la commission européenne. La presse quotidienne régionale espagnole s’est fait l’écho de ce désaccord.
L’ENIM a alors souhaité suspendre le délai du 15 janvier 2016 tandis que l’inspection du travail le maintenait.
Le débat juridique s’est noué autour de l’article 11.4 du Règlement (CE) n°883/2004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale *
Ce texte pose un principe, c’est l’état du pavillon qui détermine le régime de sécurité sociale applicable.
Il prévoit une exception dans sa deuxième partie sur laquelle se fondaient les autorités espagnoles. Ces dernières considéraient que l’employeur qui versait le salaire se trouvait en Espagne et dès lors, l’affiliation à l’ISM était fondée. Dans cette logique l’illégalité constatée par les services de l’inspection du travail servait de support à cette exception du règlement européen.
Les autorités françaises soutenaient quant à elle que l’opération de mise à disposition étant illégale, l’employeur qui doit payer le salaire est bien l’entreprise française et que par suite, les droits du travail et de la sécurité sociale applicables sont français.
De son côté l’inspection du travail a poursuivi son travail de contrôle et a indiqué aux armements contrôlés que si elle considérait que l’infraction de travail dissimulé était constituée elle relèverait procès-verbal et saisirait l’autorité préfectorale afin d’obtenir la fermeture de l’établissement et la saisie conservatoire du navire pour une durée de trois mois.
Durant toute cette période, le nombre de marins régularisés n’a cessé de progresser.
Une réunion, s’est tenue à Paris avec le directeur de l’ISM, le directeur de l’ENIM, des représentants de la Direction des Affaires Maritimes ainsi que le responsable de l’Unité de Contrôle de l’inspection du travail du Pays Basque et du Sud des Landes.
Il a été convenu après plusieurs heures de discussion que les caisses de sécurité sociale des deux pays ouvriraient une négociation afin de conclure un accord entre caisses pour régler la question des marins proches de la retraite pour lesquels il était compliqué d’être affiliés pour quelques mois à une seconde caisse de retraite.
Aujourd’hui le dossier des marins pêcheurs espagnols du Port de BAYONNE est presque clos.
Les autorités espagnoles ne contestent plus la position française, plus de 94 % des marins dépendent aujourd’hui du droit du travail français ainsi que de la sécurité sociale française.
Reste en suspens, la question des marins espagnols les plus âgés, représentants les 6% encore en attente de régularisation.
Le système d’inspection du travail a été mobilisé à chaque niveau de responsabilité : UC, Responsable Pôle T de la Direccte, DGT.
Il en découle la mise en œuvre d’une action cohérente, soutenue par tous les acteurs du système d’Inspection, en recourant tantôt à ses prérogatives de contrôles tantôt à l’accompagnement des entreprises pour mettre fin à une situation d’ampleur de travail illégal.
*Aux fins du présent titre, l’activité salariée ou non salariée exercée normalement à bord d’un navire en mer battant pavillon d’un État membre est considérée comme une activité exercée dans cet État membre. Toutefois, la personne qui exerce une activité salariée à bord d’un navire battant pavillon d’un État membre et qui est rémunérée pour cette activité par une entreprise ou une personne ayant son siège ou son domicile dans un autre État membre est soumise à la législation de ce dernier État membre si elle réside dans cet État. L’entreprise ou la personne qui verse la rémunération est considérée comme l’employeur aux fins de ladite législation.